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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 11:20

« Il est interdit de faire pipi, ici. » La phrase en calligraphie arabe incompréhensible pour le néophyte pourrait n’être que belle à regarder, avoir une signification aussi bien impertinente qu’anecdotique…  Sa présence et son sens sur le tableau sont pourtant ici essentiels, orientent le regard et ouvrent au secret de l’œuvre.  En arrière-plan, la coupole blanche d’une mosquée se détache et tranche avec l’enceinte marron du mur tagué.       DSCF2240

 

Haut et bas, aplat du mur et arrondi de la coupole, profane et sacré se côtoient sur la toile, élargissent la vision et engagent la réflexion.  

 

Le premier plan recouvre près des trois-quarts du tableau. Ce mur à l’inscription presque triviale a la couleur singulière des murs de Marrakech, entre ocre et orangé. Il semble  vouloir recouvrir l’arrière-plan, l’envahir et l’engloutir. Pourtant la mosquée blanche aux trois boules vertes, comme posée en équilibre sur la tranche du mur, jaillit des profondeurs de l’espace et impose au regard sa présence.

Tout l’art de Mohamed Najahi, artiste peintre marrakchi, se concentre dans ces strates, dans cette lecture à multiple entrée. La puissance de son art, outre son indéniable beauté chargée d’émotion, trouve sa source dans le dialogue entre les différents niveaux de lecture.

 

Loin de tout consensus, ses tableaux sont tout à la fois pamphlets, odes amoureuses à ses origines, trace du passage et de l’éphémère, union du passé et du présent. C’est une peinture qui souffre : elle témoigne du temps qui s’écoule et transforme, des disparations et des destructions. C’est une peinture qui aime : elle puise son inspiration dans le réel, dans l’hédonisme et la tolérance. Elle accumule, tel un palimpseste, les traces de vie et d’histoires, palpite de fragments visuels.

 

Le travail sur la matière, dense et complexe, donne chair à l’insaisissable et enrichit la figure visuelle d’une dimension tactile. Du sable comme de la peinture, des morceaux de livres comme des bouts de fils se marient et se superposent pour composer une cosmogonie du Maroc, et par extension de notre  histoire contemporaine.      DSCF2264

 

A l’heure du tag devenu art, les murs deviennent des espaces de liberté créatrice. Cette appropriation institue le support comme un  langage démocratique et populaire. Les œuvres de Mohamed Najahi sont les vecteurs de cette prise de parole. Le mur devient un témoin des passages humains, les zelliges ancestraux sont recouverts par les peintures et le passé par des traces vivantes. Les murs font partie de la vie marocaine. Des remparts aux façades des habitations de la médina, ils protègent de l’intrus. Opaques, ils préservent l’intimité luxuriante des riads. Détruits, ils témoignent de pénibles histoires d’héritages. Reconstruits, ils effacent le passé pour le renouvellement sauvage des étrangers souvent néo-colonialistes.

 


  319493 154371214648652 3274133 n Cependant, c’est bien la persistance d’un zellige qui écaille la peinture nouvelle ou, à l’inverse, la trace d’une main qui marque son empreinte sur ce qui a été. Et comme une affiche déchirée ou, au contraire, persistante on peut découvrir sur ces murs chargés d’histoire une page d’un manifeste de Michel Onfray, des réflexions poétiques ou des témoignages d’amoureux. Les arts se croisent et l'esthétique rejoint le pensée intellectuelle. Le Maroc d’aujourd’hui est là, puissant de ses coutumes, fier de son passé et dynamisé par son présent et son ouverture sur le monde.

 

 

Grâce à Rémi Aubrée, dynamique directeur de la publication de Zwinup, un magazine en ligne de Marrakech, Mohamed Najahi va peindre une fresque sur le mur de notre terrasse. Notre rencontre entre en cohérence avec son œuvre. Dès que nous l’avons découvert,  nous avons pensé à notre expérience de rénovation, à l’hégémonie que nos travaux allaient imposer à la construction ancienne. « Il est interdit de faire pipi ici », reviendrait ainsi à dire : « Ne souillez pas votre mémoire, restez conscient de ces murs qui nous parlent de nous-mêmes. » Comme toute belle œuvre artistique, ces tableaux nous ont regardé avant même que nous les voyons. Les murs poreux de notre riad, que nous voulons nous approprier tout en respectant le passé dont ils sont porteurs, ont trouvé une résonance dans cette vision artistique. Le plus bel hommage que nous puissions rendre au lieu se concrétise dans cette touche que Mohamed, en tant que passeur, va apporter. Sa signature comme une trace de l’histoire, de celle de Marrakech, de la sienne et de la nôtre. DSCF2254

 

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