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8 octobre 2012 1 08 /10 /octobre /2012 17:40

IMG_3627.JPG"Tu veux que je fasse la petite main pour toi ?"  Le sourire éclatant et innocent laisse entrevoir des dents à l’alignement irrégulier. Les longs cils papillonnent au-dessus du regard miel chocolat. Il attend les directives sans broncher et se départir de sa visible bonne humeur. 

Trois semaines auparavant, il nous avait promis de revenir à Marrakech le 1er septembre. Aziz quittait le chantier de notre riad sur lequel il était employé par Bader, notre entrepreneur, pour terminer Ramadan chez ses parents à Ouarzazate. Nous lui avions demandé si travailler pour nous au riad l’intéressait.

IMG_3967.jpgDepuis notre rencontre sur le chantier, ce choix était une évidence retardée et repoussée par respect pour son employeur. Notre rupture imminente avec Bader a rendu la demande possible. Pendant près de trois mois nous avons observé sa constance. Aziz montait les sacs de ciments sur la terrasse, Aziz passait le balai et ramassait les détritus laissés par ses collègues maçons, peintres et menuisiers, Aziz était réquisitionné pour inonder le sol souillé du riad d’acide, Aziz grattait les bejmats uns par uns pour effacer de mal attentionnés traces de plâtre, Aziz de Ouarzazate préparait son tajine pour tout le chantier et ne manquait pas de nous proposer de le partager avec lui.  Aziz et son sourire accroché au visage cherchait à communiquer et répétait: « bon voyage » à notre retour de France et « bon appétit » lorsque nous avions terminé notre repas.

Une jour, avec une évidente joie, il avait descendu pour moi un meuble dans la cave, puis six radiateurs et s’était affairé à ranger le tout. "Non laisse-moi faire", avait-il insisté : c’était lui qu’il nous fallait. Laisser tomber les autres Mouad et Jawad, l’inefficacité de l’un, les combines roublardes et la mauvaise volonté de l’autre. Rajaa lui a traduit la proposition et la réponse positive fut immédiate, Inch Allah.

Et Allah l’a bien voulu. Il est revenu, chargé d’amandes fraiches et de roses séchées de son village. Depuis, même si nous le savions, il prouve que sa joie de vivre n’a d’égale que sa générosité et son désir de bien faire. 

IMG 4144Motivé par son nouveau rôle, l’ancien homme à tout faire, Monsieur Bricolage, comme il se désigne, se révèle un maitre dans l’art de la table. Chaque soir, Aziz s’amuse à plier les serviettes selon de savantes innovations car il observe comment font les autres restaurants.  Des pétales font de délicates petites taches rouges sur la nappe blanche qu’il rehausse par une rose au centre de la table. Avec application, il apprend à déboucher une bouteille de vin, la servir la main gauche dans le dos sans que le goulot repose sur le verre. "Moi pas faire du bon coté", explique-t-il au client interloqué qui le regarde se déplacer pour continuer de le servir à sa droite. Il manque une fourchette, il court jusqu’à la cuisine avec une précipitation enfantine. Puis, revient, tortille ses mains devant son costume mauve et réfléchit un instant et lance : « Bone appétite toute le monde. »

Sa sensibilité touchée, il interprète  toute remarque comme une bêtise de sa part, craint que nous lui en voulions. Aziz me fait parfois penser à un être qui, parce qu’il aurait été maltraité, vit dans l’hantise de mal faire ou de déplaire. Ou est-ce, selon l’explication de Rajaa, parce que tout les gens de Ouarzazate sont tous tellement gentils…

Le jour où Aziz a signé son contrat, il était terrorisé par des personnes qui le faisaient chanter et le menacer. Il craignait, on ne sait pourquoi, que nous lui en voulions. Nous l’avons rassuré, mais le gaillard de trente-trois ans, continuait d’avoir des larmes dans les yeux.  Après la lecture du document, il n’a pas pris le stylo de suite, mais ses doigts ont croisé d’abord ceux de la main droite de Rajaa qui faisait la traduction, puis ceux d’Eric et les miens. Un pacte était signé, inoubliable et émouvant.

IMG_4188.jpgDe jour en jour, Aziz avide de savoir apprend et se transforme, mais reste le même homme sincère, simple et généreux. Il consulte sa liste de tâches quotidiennes pour ne pas oublier, essuie les vitres, arrose les plantes, dépoussières, nettoie le sol et fait les courses pour Rajaa.

En ce moment même, il est en train de balayer la bibliothèque, disparaît et monte le son de la chaine pour mieux entendre Oum Kalthoum qu’il vénère, fredonne les paroles, s’arrête un instant appuyé sur son balai et observe un sourire au coin des lèvres les poissons qui s’agitent dans l’aquarium. Après cette courte pause,  il reprend son labeur avec calme et douceur.

 

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