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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 11:43

imgres-1.jpegDans les rues, de curieux étals se sont installés.  Sous des tentes de fortune, composées de bambous et de tissus défraichis, de petits tas de foins s’alignent le sol.  Sur un coté,  des graines de blé ou d’orge attendent enfermées dans plastique transparent.  A quelques mètres, on trouve des monticules de charbons. Une femme se penche, la manche noire de sa djellaba se fondant en un prolongement étrange avec le combustible. Le marchandage qu’elle entreprend auprès du vieux taciturne assis par terre provoque une légère brise dans le voile qui cache le bas de son visage. 

La femme interrompt sa discussion et se retourne soudain.  Des rires mêlés de cris suivent un mouton qui détale dans le souk. L’animal bondit en bêlant mais un grand gaillard arrête net sa course, se jette sur lui et enlace les deux pattes arrières contre son torse. Telle une brouette, le mouton maîtrisé avance par force escorté par les gamins qui gambadent autour de lui.

IMG_4330-copie-1.JPG Au coin de la rue, un autre mouton forme une immense écharpe autour du cou d’un conducteur de scooter déséquilibré par le poids de son chargement. De jour en jour, les bovidés ont envahis Marrakech.  Comme en Occident où la frénésie des fêtes de fin d’année engage une course au plus beau sapin de Noel, l’approche de l’Aïd el Kbir fait de la possession du mouton l’obsession du musulman. Avec fierté, des groupes écrasés par une couverture de laine vivante s’entassent  sur des engins motorisés et trimballent l’animal jusqu'à sa dernière demeure.

Près du vendeur de billots en bois, des affuteurs armés de meules d’un autre siècle aiguisent des couteaux aux lames immenses. Avant de les rendre aux enfants chargés de la course par leur père, ils testent le tranchant sur de vieilles peaux de bêtes. Sur le chemin du retour, pour rejoindre leur éphémère animal de compagnie, ils achèteront peut-être un énorme bouquet de coriandre et pour plusieurs dirhams de gousses d’ail. Quant au nouvel occupant, il se régale de l’écorce des orangers ou, faute de mieux, du plâtre mou des murs humides du patio.

Le matin de la grande prière, sur les toits terrasse ou à l’intérieur des patios, les bêlements se superposent au chant du Mouhadin.

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L’heure du sacrifice est arrivée. Avec force  les hommes couchent le mouton sur le flanc gauche, sur sa tête recouverte de henné et tournée vers la Mecque, la femme de la maison applique avec difficulté du khôl sur ses paupières. Puis, avant de lui faire boire un verre d’eau, elle engouffre dans la gueule un mélange d’herbe, de boutons de roses séchées et de sucre. La lame affutée est maintenant libre d’engager son irrémédiable travail. IMG_4443.JPGL’animal se débat pendant que son sang forme autour de sa laine écrue un tapis rouge glacé. Le liquide impur recueilli dans un bol pourra ensuite être lu afin de savoir ce qu’augure l’année à venir. La lame souillée est appliquée sur les fronts laissant une coulure entre les deux yeux de chaque membre de la famille.  

IMG_4366.JPGGonflé d’air afin de faciliter le dépouillage, le corps désormais sans tête ressemble à un énorme ballon de baudruche. La vie n’existe pas plus, la bête non plus ravalée au rang d’objet informe. L’animal est devenu viande, vidée de ses entrailles encore chaude. Attachée à une corde, la carcasse vidée entourée d’un linge propre et blanc ressemble à une triste mariée qui, esseulée, se serait pendue de désespoir.

 

 


 


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Au fur et à mesure de la journée, les plaintes animales se sont fait plus rares jusqu’à disparaitre et  l’odeur de fumée a envahi l’espace pour s’évaporer dans le ciel bleu. Dans les rues aux boutiques closes, les marchandises éphémères ont été remplacées par des sommiers de fer reconvertis en buchers. Sur les grilles, des têtes cornées et d’innombrables pieds se carbonisent avec lenteur.      

           

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 A chaque départ de nos vacances dans l’Ariège, je pleurais de rage et désespoir car mes parents n’allaient pas tenir leur promesse. Je rêvais de ramener chez nous ces adorables petits moutons qui s’attroupaient dans les pâturages.  Ils auraient adoré se retrouver sur la pelouse de notre petit jardin. Je les imaginais déjà se nourrissant des branches du saule pleureur. C’est certain, la scène aurait été du plus bel effet et m’aurait distingué des petits voisins rendus jaloux par mon incroyable acquisition. L’animal était si mignon et innocent que j’avais du mal à le reconnaître dans ces cranes blancs que mon cousin se faisait un plaisir de récolter dans les champs afin de me faire enrager en me disant qu’ils me ressemblaient.  Et je ne pleurais pas tant de cette étrange comparaison que du fait que moi aussi, croyant être un mouton, c’est ma mort que je voyais en reflet dans ces têtes désincarnées.  IMG_4381.JPG

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Sur les scooters des Marrakchis, à la place des énormes moutons vivants ce sont désormais des amoncellements de peaux semi séchées qui rejoignent les tanneries. Aux brochettes d’abats succéderont les keftas , tajines, tanjias, viandes fumées et de nombreux morceaux de viandes seront distribués aux pauvres. 

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